Un point de l’enseignement
bennabien
Il faudra bien
un jour tirer la conclusion et cesser de tergiverser : la Nahdha n’en
a pas été une! Nous ne nous sommes pas encore tout à fait réveillés du long
sommeil de l’époque post-almohadienne. Il est temps de l’enseigner à nos
enfants, de leur dire la vérité : vos grands parents ne savaient pas quoi
faire. Ils exprimaient un rêve qu’ils prenaient pour la réalité. Ils n’avaient
pas tout compris.
Depuis des
siècles, en fait depuis la fin de l’empire almohade, les musulmans ont perdu
les rênes de leur histoire, ont été relégués au rang de simples sujets de
l’histoire, de la petite histoire, sans grande fierté. Ils ont même fini par
tomber sous la botte du colonialisme, car ils étaient devenus colonisables et
corvéables à merci.
Toutes les
tentatives, ont échoué. Mais ont-elles été vraiment des tentatives ou de
simples velléités, de simples désirs exprimés par la langue sans que cela soit
suivi de la moindre action?
Bennabi qui a
fait une critique acerbe de l’homme post-almohadien ne laisse aucun doute à son
sujet : Il est l’homme de la demi-action, de la demi-pensée, de la
petitesse, sans grande ambition.
Mais les ulémas
ne lisent pas Bennabi.
Ils ont préféré
demeurer inexorablement rivés à leur rêve, à leur solution miracle que
résume ce slogan : al-islâm huwa al-hall, l’islam est la solution.
Comme c’est simple. La solution était si près, et elle échappait à notre
regard !!
Belle parole,
beau slogan en apparence.
Un des maîtres à
penser de cette tendance écrivit un jour un livre qu’il intitula : ‘’Vers
une société islamique civilisée’’. Après quelque temps, il se ravisa et modifia
son titre en : ‘’Vers une société islamique’’. Logique avec lui-même, il
pensait que lorsqu’une société est islamique, elle devrait être forcément
civilisée… En dépit de l’évidence qui se présentait à ses yeux et de la grave
contradiction que son syllogisme entrainait : ou bien nous sommes
civilisés (et ce n’est pas le cas), alors il n’y a pas de problème, ou bien
nous ne sommes pas civilisés (et c’est le cas), et alors… nous ne sommes pas
musulmans ?
Mais il se garda
bien de donner une explication à ses lecteurs à ce sujet. Craignant sans doute
d’énoncer le verdict : les musulmans ne sont pas musulmans parce qu’ils ne sont
pas civilisés ! Cela
traduit la confusion qui règne dans les esprits de ceux qui pourtant ont
continué à vouloir diriger la ‘’oumma’’[1].
En tout cas, ses
adeptes et interprètes ont conclu à la fameuse théorie de ‘’l’islamisation’’
qui prône l’arrivée au pouvoir d’un régime qui passera son temps et son énergie
à prêcher le ‘’véritable’’ islam ou ‘’l’islam authentique’’ (celui qu’eux-mêmes
définissaient comme tel) par la force au besoin, au lieu de s’occuper à
‘’lutter contre le chômage et l’inflation’’, à remettre la société sur les
rails du développement. Leur programme consistait en fait en de long discours
décousus au moyen desquels ils espéraient à la longue bien remettre dans les
esprits le bon logiciel de l’islam. Encore fallait-il qu’il y eut un bon
logiciel !
Beau programme
si cela relevait réellement d’une action politique. Si la question était bien
posée, le diagnostic bien établi, et si le remède préconisé était le bon.
On comprendra
que dans ce programme, le principal rôle devrait être attribué aux ‘’ulémas’’,
et plus précisément aux juristes (fuqaha), si tant est qu’il en existe
d’authentiques.
C’est autour de
ce thème que nous allons essayer de porter notre réflexion, en nous inspirant
de l’enseignement de Malek Bennabi.
C’est un point
en apparence bénin, mais qui résume à lui seul toute la problématique actuelle
de la ‘’révolution islamique’’, du printemps arabe, etc.
Disons d’abord
que Bennabi avait en tant que musulman, le plus grand respect pour la caste des
ulémas en dépit des critiques parfois sévères qu’il leur adresse.
Bennabi se
démarque d’eux justement sur ce point grave du statut du musulman en période de
décadence, où il se trouve comme rejeté hors de l’histoire[2].
Pour Bennabi,
chacun le sait, les problèmes de la société musulmane se classent dans la
grande rubrique intitulée ‘’Problèmes de la civilisation’’. Il n’est
question là ni de droit, ni de philosophie, ni d’autre querelle des
savants classiques.
Il est avant
tout un observateur sociologue. Son patient n’est pas l’islam, mais le
musulman. En ce qui concerne l’islam, il écrivit un livre intitulé Le
Phénomène Coranique dans lequel, il régla, une bonne fois pour toutes,
la question de l’authenticité du Livre Saint, et par voie de conséquence celle de la solidité de la foi
musulmane.
Pour lui, le
musulman est musulman jusqu’à preuve du contraire, comme l’enseigne d’ailleurs
le droit musulman : un musulman est musulman tant qu’il n’a pas proclamé
publiquement son apostasie, fût-il
vaincu et colonisé. Comme toutes les civilisations, la civilisation
musulmane fut sujette au déclin. Or Dieu merci, si dans sa décadence, le
musulman a perdu son efficacité, si le musulman s’est replié
aux horizons de sa tribu, il est resté néanmoins attaché à sa foi, aux valeurs
de l’islam. Jamais dans une société musulmane, il n’y eut et il n’y aura de
révolte contre l’islam, comme ce fut le cas par exemple en 1789, contre
l’Eglise, pendant la Révolution Française. Jamais des mosquées n’ont été
saccagées par les masses musulmanes.
Non seulement le
musulman ne s’est jamais révolté contre la religion et ses représentants, mais
bien au contraire ce fut toujours au nom de l’islam qu’il a mené son combat
pour la libération, comme ce fut le cas de la libération de notre pays l-Dzayer
par les armes et le courage et les sacrifices.
Certes
aujourd’hui il existe une demande d’islam, une soif d’islam. Mais cette aspiration
est d’ordre sociologique. Après des
siècles de décadence, 132 ans de colonialisme suivis de plusieurs années de
‘’socialisme- communisme’’ qui ne voulait pas dire son nom, il est normal que le
peuple algérien aspire à vivre davantage l’islam. Mais cela n’a besoin que
d’une liberté totale de la pratique religieuse sous toutes ses formes. Or le
‘’gouvernement’’ colonial avait interdit les écoles coraniques, la langue
arabe, la construction de mosquées, etc. Boumediene aussi a interdit les
publications religieuses et faisait incarcérer les ulémas pour la moindre
activité. C’est contre cette mise au pas de la religion que le peuple musulman
se révolte.
On se
tromperait de croire que le peuple demande une république islamique, alors
qu’il ne souhaite que disposer de la liberté entière, sans restriction aucune,
de tout musulman vivant dans un pays musulman de s’adonner à l’étude et à la
pratique de sa religion, de la faire connaitre, de la défendre par la plume et
par les voies de la démocratie. Proclamer la république islamique, c’est déjà
fixer des limites à l’islam et à la république. Parce qu’il y aura désormais un
islam canonique, délimitant ce qui est du ‘’vrai’’ islam et ce qui ne l’est pas,
ce qui serait souhaitable si les critères eux-mêmes n’étaient pas fixés par des
personnes physiques sur la base de leurs convictions personnelles qui ne sont
pas nécessairement celles de tous les musulmans. Cet islam librement défendu
par le peuple procurera une meilleure ambiance sociale, que celle d’une prise
sous contrôle de la religion par l’état qui n’aboutirait à la longue qu’à la
sclérose et – que Dieu nous en garde –, au terrorisme intellectuel ou pire
encore au terrorisme religieux.
Agir
selon sa conscience religieuse. Boumediene était musulman. C’est son ambition
personnelle qui le poussait à prendre des décisions et à agir de façon
contraire à l’islam et aux intérêts des musulmans. Il en va de même des autres
‘’présidents’’ algériens.
En posant le
problème dans le cadre de la société musulmane dans son ensemble, de Tanger à
Jakarta, comme il disait, Bennabi nous a ouvert les yeux et déblayé le terrain.
Grâce à lui, nous faisons depuis, la différence entre ce qui fait partie de la
connaissance et ce qui relève de l’action, entre ce qui est purement politique
(devenue boulitique chez nos leaders) et ce qui relève de la
haute doctrine religieuse.
La donne
actuelle a imposé le vocable d’ ‘’islamistes’’ pour qualifier ceux des
musulmans qui ont un programme politique ‘’d’application de l’islam’’.
Lorsqu’un musulman sort des rangs pour devenir (ou se proclamer) le chef, il
cesse d’être musulman, il devient islamiste.
Dans la
littérature musulmane, le terme islâmiyyûn désigne chez le
théologien al-Ash’arî (fondateur de l’ash’arisme) les théoriciens, les
doctrinaires de l’islam, quelque chose comme les islamologues. Il s’agit
donc dans son esprit d’une catégorie de savants exprimant des idées
particulières au sujet de la théologie musulmane. Ce fondateur de l’ash’arisme
écrivit un ouvrage intitulé Maqâlât al-islâmiyyîn dans
lequel il exposa les différentes opinions des savants musulmans au sujet de
certaines questions épineuses de la théologie (‘ilm al-kalâm).
Ce terme islâmiyyûn ne
désignait donc pas un mouvement politique.
De même nous
avons vu que pour définir notre combat de libération, depuis la résistance de
l’Emir Abdelkader jusqu’à Ben Boulaid et Amirouche, nos combattants se sont
dressés en tant que musulmans et pas en tant qu’islamistes. Il n’est pas nécessaire de citer des
versets coraniques et des hadiths pour savoir que l’oppression est mauvaise,
que la corruption doit être combattue, que la liberté est préférable à
l’esclavage… Si la tradition le confirme, raison de plus, notre responsabilité
ne sera que plus véhémente.
Les musulmans
ont besoin de dirigeants musulmans et pas d’islamistes. En d’autres termes, ils
ont besoin des qualités ordinaires qui sont celles d’un musulman (ghayra
pour son pays, ghayra pour son dîn, dévouement pour le peuple musulman,
etc.) et non pas d’un spécialiste ou d’un théoricien de l’islam qui, eux, pourraient
être nécessaires dans l’animation de la vie intellectuelle.
Les Amirouche,
Ben Boulaid, Ben M’hidi et tant d’autres martyrs n’avaient pas besoin des
services d’un islamiste pour comprendre que l’heure de se soulever contre la
tyrannie et l’oppression coloniales avait sonné. Ils ont trouvé l’énergie en
eux-mêmes, dans leur propre âme meurtrie. C’était des hommes d’action qui
avaient identifié le mode de leur action. Grâce à leurs sacrifices, les
algériens ne sont plus colonisables. Mais ils peuvent encore subir
les coups méchants de la lutte idéologique.
La politique
relève du domaine de l’action. Elle a pour principe la réalisation d’un grand
dessein pour le peuple, (sans quoi, elle mériterait son sobriquet de boulitique).
Elle a besoin de la connaissance. Cette connaissance relève des intellectuels
et savants musulmans, et la conformité de la politique à la connaissance se
contrôle par les savants et par la démocratie. Comme l’a dit le simple musulman
bédouin au grand calife Abû Bakr : ‘’Si je voyais en toi une déviation,
je la réparerais par ceci’’ et il pointa son épée. Et Abû Bakr le félicita
et ne le jeta pas en prison[3].
Les conditions
sont enfin créées pour que le peuple algérien se remette à l’étude, à
l’acquisition des sciences religieuses aussi bien que des sciences exactes et
expérimentales.
Mis il est
quelque chose qu’ils garderont jalousement toujours dans leurs cœurs sans avoir
besoin de le réapprendre : l’amour de leur pays musulman et l’esprit de
sacrifice pour le défendre coûte que coûte.
Les musulmans
savent naturellement ce qui est bon pour leur communauté. Ce sont la répression
et la magouille, manipulées ou aggravées par la lutte idéologique productrice
de peaux de bananes et autres pièges, qui les empêchent d’atteindre leur but.
Ils n’ont pas besoin de recevoir des leçons de morale de la part des
‘’islamistes’’ modernes, eux-mêmes aveuglés par leurs ambitions. Ils savent
naturellement comment combattre les traitres à leurs pays, à leur religion. La
politique musulmane doit être menée par des hommes qui sont déjà convaincus de
la justesse de leur cause.
C’est grâce au
soutien de la masse musulmane que les ‘’islamistes’’ arrivent au pouvoir. Et
lorsqu’ils y arrivent, ils commencent par se retourner contre la masse pour prétendent-ils
‘’l’islamiser’’, c'est-à-dire… lui rendre la vie impossible, en ajoutant de la
confusion à la confusion. Un philosophe français a eu raison de dire que ‘’la
société devient un enfer dès qu’on veut en faire un paradis’’.
Nous attendions
d’eux qu’ils nous sortent de la misère ; voici, qu’ils nous en imposent
une encore plus dure.
Le musulman et
l’islam
Lorsque le
musulman veut s’étudier en tant que tel, son regard se porte immanquablement
sur l’islam. Il n’arrive pas à faire la distinction entre islam et
musulman. C’est là tout le drame : Il est incapable d’introspection,
incapable de se concevoir comme l’aboutissement d’une histoire, comme le
descendant d’un peuple qui a traversé l’histoire avec des hauts vertigineux et
beaucoup de bas affligeants. Cela se constate aussi bien chez le croyant
ordinaire que chez les ulémas, indépendamment de leur coloration sunnite,
chiite ou kharidjite. Cette aberration n’a rien à voir avec le débat religieux
proprement dit, mais avec la culture et le comportement des personnes.
Al-Ghazzali
avait en son temps dénoncé les dérives du fiqh et des fuqaha. Il avait remarqué
que les fuqahâ étaient plus soucieux de défendre le mazhab auquel ils adhéraient
que d’œuvrer à faire avancer la vérité, fut-elle chez le mazhab adverse,
hanafi, chafi’i ou hanbali. On sait que le Ihyâ ‘ulûm al-dîn a
été jeté aux flammes par les fuqaha sous la dynastie des Almoravides.
L’intégrisme était déjà là. Mais on ne fait pas baisser la fièvre en cassant
le thermomètre.
Les choses se
sont aggravées depuis… avec l’arrivée d’un nouveau mazhab encore plus
intolérant…
Si dans une
discussion banale, vous êtes amené à parler de cocotte minute, de la rapidité
de la cuisson, vous serez surpris d’entendre le raisonnement
suivant : la cocotte minute siffle… or le Prophète a interdit le
sifflement, donc la cocotte minute est harâm…
Si vous faites
l’éloge de nos jeunes footballeurs qui évoluent dans des clubs étrangers
donnant de nous une image respectable, vous entendrez sûrement le jugement de
l’apprenti faqih : ‘’jouer est un péché…’’. Il lui est impossible d’admettre
qu’un footballeur musulman puisse susciter juste par son nom, plus de sympathie
pour notre religion que les prêches de plusieurs imams réunis[4].
Cette attitude
désolante, car c’est plus une attitude qu’une réalité juridique, est contraire
à l’esprit du Coran, qui se fonde plus sur l’enthousiasme de la foi, sur la
joie, que sur l’austérité, la sécheresse et la rudesse de caractère. Il vaut
mieux à ce propos distinguer entre le musulman ‘’humide’’ et le musulman
‘’sec’’. Le musulman humide est celui qui a la larme à l’œil quand il voit un
spectacle de grandeur, qui s’émeut devant la beauté divine, au lieu de censurer
ou de désapprouver au nom de ce qu’il croit être une loi. Il peut s’émouvoir
d’un vers de poésie, d’une image de beauté, d’un geste empreint d’humanité,
d’une musique dont la mélodie va droit au cœur, etc.
Jésus (AS) et
ses disciples passèrent près d’une carcasse de chien. Les disciples
dirent : ‘’Que sa puanteur est répugnante ! ». Jésus dit :
‘ Que ses dents sont blanches ! » Il dit cela afin de leur donner une
leçon : il est interdit de calomnier[5]. (hadith)
Dieu est celui
qui fait apparaitre la beauté et voile la laideur (yasturu al-qabîh wa
yuzhiru al-jamîl)
Le musulman sec
ne réagit à rien, ou plutôt si, il réagit quand ses propres intérêts sont en
jeu. Là il devient colérique, s’indigne, injurie, et oublie toute la bonne
morale qu’il prêchait auparavant.
Autre trait du
musulman sec. Il ne prend jamais l’initiative d’une discussion, d’un débat,
d’une action. Il est à l’affût des autres, surveillant que vous exposiez votre
idée ou que vous entamiez votre action. Là, il se lève, vous interrompt, prend
la parole, et élève le ton non pas pour asséner des arguments forts, mais pour
vous vouer à l’enfer, en vous accusant de vous être éloigné de la bonne voie
des sahâbas (qui est la sienne bien entendu)… Au lieu de laisser la
pensée se développer, de participer en s’impliquant, en faisant part de son
point de vue, il croit pouvoir tout résoudre en citant un hadith, qui est le
plus souvent détourné de son sens ou cité mal à propos. Il est là juste pour
étouffer toute tentative de pensée juste et construite rationnellement. Il est
là pour faire le gendarme de la bonne orthodoxie. Il n’y a aucune joie à
fréquenter de pareils individus. Je suis écœuré quand je vois cette sorte de
personnes pulluler chez nous en Algérie, notre peuple ayant survécu à 132 ans
de pires injustices et gardant quand même la patience et la bonne humeur. Un
musulman sincère ne doit pas avoir peur pour l’islam, mais seulement pour les
musulmans. L’islam est la religion de Dieu. Il ne faut pas le ‘’défendre’’ en
vexant ses frères. Dieu lui-même ne veut pas de cette défense de Sa religion
qui éloigne plus les gens qu’elle ne les rapproche. Je comprends la sécheresse
du saoudien qui n’a rien vu, rien expérimenté, rien vécu, jamais combattu,
jamais souffert, même si la nature ne l’a pas gâté sous tous les rapports. Il
n’a jamais pris de risque. Il ne sait pas ce qu’est le travail, il est un
simple ‘’toucheur de paie’’, vivant de la rente du pétrole, pétrole dont il n’a
jamais vu la couleur étant donné qu’il est extrait du sous-sol dans des tubes
américains qui le conduisent à d’autres tubes américains qui le versent dans
des raffineries américaines qui le redistribuent dans des réservoirs
américains où le chauffeur de l’Arabe va le puiser pour faire le plein de la
voiture américaine de l’Arabe. Quelle misérable vie !!! Je comprends qu’un
tel homme puisse être wahhabite, aussi sec que le désert qui l’environne !
Comment un tel
homme pourrait-il nous enseigner l’islam ? Le dernier roi saoudien dont je
garde une image souriante fut le roi Fayçal (Rahimah Allah)). Mais on l’a
tué !
Le fiqh
a fini par devenir un simple instrument de la sclérose sociale. Tout s’arrête.
Il est invoqué pour briser les initiatives. Il est confondu avec la très sainte
Sharia divine, qui elle est la loi divine, telle qu’elle est en Dieu. Le fiqh
n’est qu’une interprétation particulière de cette sharia. Les avis peuvent
diverger d’un juriste à un autre.
Qu’il me soit
permis à ce propos de citer un hadith : « On rapporte que Jésus
a dit : ‘’Les savants sont de trois sortes : ceux qui connaissent
Dieu et Ses commandements, ceux qui connaissent Dieu mais pas Ses commandements
et ceux qui connaissent les commandements de Dieu mais pas Dieu[6]. »
((rapporté par Timidhi)
Individuellement,
le musulman est un être humain et ne vaut donc pas moins que n’importe quel
autre humain. C’est sociologiquement qu’il est frappé d’un coefficient
réducteur, qui de nos jours peut consister dans l’étroitesse de l’espace que la
société lui accorde, lui alloue pour s’exprimer.
Il suffit que
les musulmans disposent des mêmes droits et devoirs, qu’il leur soit loisible
de s’exprimer, pour que la société musulmane se remette en marche. Il n’est pas
nécessaire de vouloir la ‘’changer’’ par des discours moralisateurs. Elle saura
trouver elle-même sa voie.
Ce que l’on
demande à un état musulman, c’est de faire confiance aux musulmans et de les
servir, en créant les conditions dans lesquelles l’action efficace devient
possible pour eux.
Pendant des
années qui ont suivi l’indépendance de notre pays, nous avons vu que l’étranger
était mieux protégé que le national, que la presse étrangère se vendait
librement en Algérie, alors que l’algérien n’avait pas le droit de lancer un
journal, que nous soignions nos malades dans des cliniques étrangères et qu’on
interdisait à nos médecins d’ouvrir des cliniques privées chez nous, et autres
contradictions bizarres, etc. Les journaux étaient sous le contrôle de l’état,
c'est-à-dire ouverts uniquement aux communistes, les agents de l’étranger. Tout
le ‘’socialisme’’ de l’Algérie reposait sur la discrimination favorable au
capitalisme étranger…
Il suffit de
créer d’autres conditions favorisant la ghayrat pour tous les
points de vue, excepté ceux des hommes appelant à la violence armée. Il suffit
de rendre toutes leurs libertés aux algériens pour que tout aille mieux.
Même pas besoin
de proclamer avec une fausse solennité l’interdiction de la consommation de
l’alcool. Cela se fera naturellement avec le temps, le temps que les musulmans
reprennent leur dignité, car c’est souvent la difficulté du destin, l’absence
de perspective qui pousse les hommes à la chute morale.
Soyons là pour
aider les hommes, pas pour les humilier ou les menacer. L’islam est une ni’mah,
une bénédiction de joie, pas une punition que l’on inflige aux peuples.
Agissons pour l’expression ‘’appliquer la charia’’ suscite la joie, mais
pas la peur, la menace de couper des mains et les têtes..
Les
comportements aberrants au sein de la société musulmane, comme les appelait Bennabi,
pourraient être éliminés en suivant le processus inverse de celui qui les a
suscités. Le retour de la civilisation musulmane créerait une ambiance dans
laquelle la contrainte sociale jouerait un rôle de promotion des valeurs
musulmanes, en remplacement des valeurs occidentales tombées en désuétude.
L’Occident inculque par son ambiance même les valeurs de nudité, d’indifférence
à la morale, l’islam remettrait au premier plan d’autres valeurs plus en
harmonie avec ses enseignements. Et cela par l’adhésion volontaire des gens,
sans aucune pression autre que celle qui les motiverait personnellement.
La pensée de
Bennabi ne s’occupe pas des problèmes de théologie, mais des problèmes sociaux,
politiques. L’image négative que lui donne la société est équilibrée par la
confiance immense que procure la foi en Dieu restée intacte. Les errements des
hommes ne sauraient entamer la vérité de Dieu. C’est pourquoi le ‘’bennabiste’’
n’adhère à aucune des tendances actuelles de la mouvance islamiste. Sans les
désavouer totalement, il se réserve le droit à la critique que l’autre démarche
lui refuse. L’ ‘’islamiste’’ croit pouvoir résoudre les problèmes par l’indispensable
présence de sa personne à la tête de l’état.
C’est a
contrario cela qui fait que la pensée de Bennabi est bel et bien une pensée
musulmane. Tout moderne qu’elle soit dans sa construction, toute rigoureuse et
scientifique qu’elle soit dans son fond, elle ne cesse jamais d'être
la pensée d'un musulman qui est convaincu qu'en dernière analyse, la décision
appartient à Dieu. Bennabi ne s’est pas fié à une explication du type ''
scientifique'' au sens que donnaient les communistes à ce mot dans l'expression
‘’socialisme scientifique’’.
Aux origines de
la pensée bennabienne
Comment Bennabi
a pu créer la pensée bennabienne ? Grâce au dégoût que lui a inspiré
l’homme post-almohadien. Il faut se détester pour (se) comprendre.
A propos de la
civilisation, une question se pose : En quoi se distingue la civilisation
de la religion, quel est le lien qui les relie ?
Techniquement,
la définition que donnent des auteurs musulmans (Bennabi, ou Ibn Khaldûn) ou
des penseurs occidentaux (Spengler, ou Toynbee) peuvent se rapprocher. Une
civilisation est un état de la société constatable et mesurable historiquement,
par la grandeur, etc.
Or lorsqu’elle
aspire à retourner à la civilisation, une société voit flou. Une partie de ses
individus reste fascinée par le passé et pense à une image vraie ou fausse de
cette civilisation, à un modèle à imiter ou reproduire. D’autres individus
pensent seulement à recréer les conditions d’un nouveau départ de cette
civilisation. Sans aucun doute, Bennabi fait partie de ceux-là.
Sa définition de
la civilisation ne laisse aucun doute à ce sujet.
‘’C’est
l’ensemble des conditions morales et matérielles qui permettent à une société
donnée d’assurer à chacun de ses individus toutes les conditions nécessaires à
son développement’’.
Il n’est pas
question ici de religion. Mais pour Bennabi, il va de soi que l’Idée (religieuse
en l’occurrence) est à l’origine de tout cela. Les civilisations qui ont été
produites par les hommes reposent sur des idées parfois intrinsèquement
fausses, en tout ou partie, mais efficaces. Car Bennabi distingue entre des
idées efficaces et des idées fausses. Même la religion de Pharaon, mise à mal
par la mission de Moïse (AS), a pu produire une civilisation. De même, le
paganisme grec ou romain ont produit chacun une civilisation merveilleuse. Et
l’Occident a produit une civilisation qui a fasciné l’humanité et qui l’a mené
au seuil de la mondialisation.
Cette définition
de la civilisation nous intéresse aussi pour notre sujet : la civilisation
se mesure à l’aune de l’efficacité. C’est pourquoi, les peuples convoitent les
civilisations, et pourquoi, selon Ibn Khaldûn, ‘’le vaincu imite le
vainqueur’’. C’est une loi humaine, indépendante des religions. Les
musulmans n’ont pas fait exception : ils ont été fascinés par l’Occident
après avoir été six siècles durant les fascinateurs du monde.
Si nous gardons
cela à l’esprit, nous verrons sans la moindre brume que ce que nous devons
faire pour nous en sortir, c’est de regagner notre efficacité sociale. Bennabi
disait qu’il suffit que le monde musulman se développe au minimum, de façon à
assurer ses besoins, à donner un modèle nouveau de développement et de
civilisation pour attirer l’attention du monde entier sur l’islam et regagner
sa crédibilité. Il vaut mieux démarrer dans la tolérance et la liberté, que
reporter à plus tard l’instauration des libertés individuelles.
C'est-à-dire
faire le contraire de la tendance qui met plus l’accent sur les points de
détails du droit, et ignore tout de l’art de sortir de la misère et de tirer
profit de la rente pétrolière.
Prêcher l’islam,
par l’efficacité sociale. Montrer que ça vaut le coup d’être musulman,
Si l’image que
nous donnons au monde est négative, si nous sommes classés bons derniers dans
tous les critères du développement, en quoi un japonais moyen par exemple
serait-il intéressé pour embrasser l’islam ?
En outre, si
nous ne parvenons pas à créer un modèle crédible et sérieux comment
pourrions-nous nous convaincre nous-mêmes de la validité de nos
prétentions ?
Si nous
emprisonnons nos intellectuels, si nous emprisonnons à tout va sous le prétexte
que la révolution est en danger, quand allons-nous assurer à chacun de nos
individus toutes les conditions nécessaires à son développement ?
Parmi ces
conditions, il va de soi que la liberté d’expression est la première devant
être respectée. Aucun argument, aucun prétexte ne devra être accepté pour la
limiter. Nous avons besoin de cette liberté hic et nunc. Un état
islamique qui met ses opposants politiques en prison n’a rien de bon. Il ne le
fait que pour consolider le pouvoir de celui qui règne et qui cherche à y
rester.
C’est pourquoi
je me méfie des états qui se proposent de « défendre l’islam ».
L’islam se défend par les musulmans. Il a traversé mille épreuves, il a subi
mille attaques et l’islam s’en est toujours sorti indemne, car c’est Dieu qui
le protège. L’Etat doit défendre les musulmans et il appartient aux musulmans,
chacun dans sa catégorie sociale d’assurer la défense de l’islam ; telle
est la fonction des ulémas, des penseurs, les artistes, des musiciens, des
travailleurs : en jouissant enfin de la liberté que leur garantit la
civilisation, ils défendront l’islam sans que cela coûte le moindre centime à
l’état.
De quoi
aurions-nous peur ? l’islam n’a-t-il pas fait l’objet d’attaques traîtresses
successives de la part de l’Occident ? Est-ce que cela l’a affaibli ?
Bien au contraire. Nous sommes assez aguerris pour accepter que dans notre
société des hommes puissent exprimer des opinions qui ne nous plaisent pas
forcément, qui nous heurtent même, sans qu’il soit besoin de les arrêter, de
les mettre au cachot. S’ils tiennent leur propos par écrit, que quelqu’un leur
réponde par écrit, sans les menacer de mort !
Nous parlons
bien entendu des libertés d’expressions, pas des atteintes à la moralité et à
l’ordre public qui doivent être contenues dans certaines limites légales. Seuls
seront combattus par les armes, ceux qui prendront les armes.
Envers tous les
autres, nous devons faire preuve de patience, de bienveillance. Il ne s’agit
que d’idées qui si elles sont fausses seront reconnues comme telles tôt ou
tard, et leur auteur pourra les réviser lui-même. Donnons-lui le temps de mûrir.
Un état
islamique qui met les artistes en prison ne fait pas honneur à l’islam. Il
n’est qu’un instrument entre les mains de personnes qui ont des comptes
personnels à régler.
Il n’y a rien de
bon dans un Etat qui islamise par la terreur, qui cherche à conduire les hommes
au paradis avec des chaînes. Le Haqq ne triomphe que par le Haqq, pas par la
calomnie. Ce n’est pas en traitant injustement les opposants ‘’d’agents de l’étranger’’
que l’on défendra l’islam. Il faut arrêter la manipulation et se repentir.
La différence
entre la vision bennabienne et la vision ‘’islamiste’’ est que la première unit
alors que la seconde divise. Quand on veut ‘’islamiser’’ on pense
inévitablement à exclure les interprétations de l’islam qui ne sont pas les
nôtres, et tenter de privilégier la nôtre, or cela ne manque pas de causer des
émeutes dès le début. Chaque musulman possède sa propre interprétation de
l’islam. Nous savons tous pour l’avoir expérimenté, que dès qu’un débat portant
sur la religion est soulevé, il tourne à la bagarre dès que le nombre de
participants dépasse le nombre de 2.
Dans la vision
bennabienne, en réunissant les conditions nécessaires au développement de
l’individu, la civilisation rassure et permet la coexistence pacifique des
différentes écoles de l’islam. C’est dans la décadence que le sectarisme
apparait le plus, et tient lieu de doctrine. Nous voyons comment en Occident
l’expression des idées les plus opposées est libre et comment cela ne suscite
pas des conflits graves, mais seulement un débat d’idées. Parce que la société
civilisée donne le temps aux idées, au débat, et l’empêche de tourner à la
violence. La démocratie est renforcée par la civilisation et réciproquement.
Modèle turc et
modèle iranien
La Turquie a été
régie par un système dit de laïcité, qui est le plus extrémiste qui soit,
puisqu’il va même à l’encontre de la majorité. Il a été copié sur le modèle
français, mais sans aucune adaptation, en sachant par exemple qu’en France
l’Eglise a conservé beaucoup d’avantages et a négocié son retrait de la vie
publique. Alors que la laïcité turque toute abstraite, n’a même pas tenu compte
du fait que la Turquie est un pays peuplé de musulmans.
En dépit de
cela, la Turquie a su se frayer un retour à ses sources essentielles par le
simple jeu de la démocratie formelle, après la fin de la dictature militaire
qui a aboli le khalifat Ottoman et proclamé la République.
Ces conditions
difficiles ont justement enseigné aux musulmans à chercher des solutions dans
le cadre strict de la ‘’laïcité’’. L’excellent travail de l’équipe dirigeante
est de loin préférable à tous les discours ‘’islamistes’’ des autres leaders
arabes ou musulmans. Comme quoi la difficulté paie mieux que la facilité.
La Turquie est
en train de donner la meilleure preuve que l’islam peut se construire par le
développement social et non par la ‘’révolution’’ islamique. Déjà les regards
des musulmans se tournent vers elle, dans l’espoir de voir enfin apparaître un
Etat musulman (je n’aime pas pas dire ‘’islamique’’) modèle à imiter par les
autres : agir dans le respect de la liberté des individus. C’est d’abord
cela que nous devons apprendre. Avec ‘’l’islamisme’’, les musulmans commencent
par clouer le bec à tout le monde y compris aux musulmans, à s’excommunier les
uns les autres… au lieu de travailler, d’unifier les rangs.
Il est
nécessaire de limiter les prérogatives religieuses de l’Etat, de ne pas le
laisser imposer la forme et le fond de notre croyance. L’Etat a pour mission de
combattre le ‘’chômage et l’inflation’’, de garantir les libertés, rien de
plus. Le reste appartient aux intellectuels, ulémas et à la société civile
musulmane. Musulman c’est-à-dire comme vous, comme moi.
En réalité, la
laïcité turque fut imposée par l’armée. Il s’agit d’une situation
anticonstitutionnelle. Aujourd’hui, même si les parlementaires se réclamant de
l’islam sont suffisamment nombreux pour voter contre elle, ils feraient mieux
de la garder encore. Je me demande en effet si à la longue cette loi finira par
se retourner contre ceux-là même qui l’ont promue. En affirmant la supériorité,
la préséance et la prééminence du ‘âlim sur le gouvernant, l’islam pose
déjà une distinction entre l’état et la religion. Cela implique que la pensée
religieuse ne doit pas être dictée par les pouvoirs qui cherchent toujours les
moyens d’enfreindre la loi religieuse. Les ulémas véritables sont les gardiens,
les serviteurs de la Loi. Cela implique un partage des pouvoirs, puisqu’ils ne
doivent pas se transformer en simples courroies de transmission de la volonté
du pouvoir politique.
L’aspect positif
de la laïcité d’Atatürk est qu’elle a obligé les Turcs à réfléchir pour trouver les moyens originaux d’une
action apostolique dans des conditions très contraignantes d’un régime areligieux
voire antireligieux.
Cette expérience
mérite notre soutien, car la première solution, celle des salafis n’a rien
donné jusqu’ici, et il ne semble pas probable qu’elle puisse un jour porter ses
fruits. Elle est trop infantile, puérile pour aboutir.
La deuxième solution
qui est proche du modèle bennabien n’a jamais été tentée à cause des obstructions
des religieux qui ont craint que la société se relève sans eux.
L’expérience
iranienne qui avait suscité tant d’espoirs à ses débuts s’est embourbée dans la
voie du ‘’salafisme’’, privilégiant la mission de réislamisation au détriment
de l’édification d’un modèle dont on attendait qu’il serve de repère aux autres
peuples musulmans. Les iraniens ne parviennent même pas à régler leurs
problèmes avec les musulmans qui font la prière et jeûnent le mois de ramadan.
Il y a trop de musulmans en prison en Iran islamique !! On leur reproche
de ne pas être à cent pour cent d’accord avec la direction !! Je ne sais
pas si ce délit figure dans le droit musulman, mais il faudra bien nous
expliquer pourquoi des musulmans qui ont une opinion différente de la direction
devraient être incarcérés. Des artistes sont en prison, des vieillards sont en
prison, tous musulmans pratiquants, juste parce qu’ils ont désavoué la
direction sur des points relevant des prérogatives des musulmans de dire la
vérité fût-ce devant un tyran.
On retarde le
développement du pays avec des politiques pareilles. On ne peut justifier ces
arbitraires sous le prétexte que la révolution serait menacée. Elle l’est
encore plus quand on crée le mécontentement à l’intérieur. Il faut rendre les
libertés aux citoyens iraniens au plus vite, sans plus attendre, si l’on veut
vraiment sauvegarder l’image de cette révolution. La liberté n’est pas une
promesse, quelque chose que l’on aura au bout de 50 ans, comme disaient les
communistes. On en a besoin hic et nunc, comme de l’air. Et on ferait
tort à l’islam de croire que la liberté menacerait l’islam. Bien au contraire.
Le régime
iranien s’appuie sur deux principes khomeynistes : appliquer l’islam (= salafisme)
et le second qui découle du premier : la velayat-e faqih qui
consiste à confier le pouvoir au clergé, comme si l’enturbanné connaissait ipso
facto les solutions à tous les problèmes. Nous ne comprenons pas en quoi
confier le pouvoir politique aux étudiants en religion garantirait les succès
de la politique. Il ne s’agit pas de les exclure, bien entendu. Mais nous ne
voyons pas en quoi la compétence juridique d’un étudiant en théologie, lui
conférerait automatiquement la compétence pour diriger le pays. Il s’agit de
deux domaines séparés, celui de l’action et celui de la connaissance.
Pour le moment,
le modèle Turc a déjà acquis l’estime des musulmans du monde entier, même sous
la pression des contraintes d’une laïcité très méfiante à l’égard de la
religion. Les dirigeants turcs ont le mérite de continuer à travailler dans des
conditions pareilles.
Les leaders
musulmans profiteraient beaucoup à réfléchir sur le modèle turc, à envisager
une dose de laïcité pour apprendre à travailler dans le respect des autres, et
ne pas céder au populisme qui pourrait se retourner contre eux.
Pour le
‘’salafiste’’ (sunnite ou chiite[7]),
il s’agit de ‘’ré-islamiser la société’’. Plusieurs fois, cette dernière option
a été entreprise mais elle a toujours échoué, peut-être parce que ceux qui
étaient chargés de ‘’ré-islamiser’’ n’étaient pas assez compétents, ou que les sujets
‘’musulmans’’ n’ont pas compris ce que l’on voulait leur inculquer.
Si la scène
‘’politique’’ est occupée par les ‘’barbus’’ portant turban, c’est parce que le
‘’clergé’’ se croit indispensable, il réussit souvent à faire croire que rien
ne saurait se faire sans lui au sommet du pouvoir.
Le salafiste cherche à expliquer l’islam. Quand
cela va dans ses intérêts, il démontre que la démocratie existe dans l’islam.
Le bennabiste, qui ne doute jamais de l’islam, renverse la question et se
demande lui : est-ce que la démocratie existe chez tel leader musulman ?
Pour le
salafiste, la solution est dans l’islam, pour le bennabiste, elle est dans le
musulman. Nuance qui a son importance.
Quand nous
voyons, à l’occasion du printemps arabe, revenir le slogan ‘’al-islam huwa
al-hall’’, nous constatons que les frères musulmans (à distinguer des
salafistes) sont encore restés sur leurs errements des premiers temps. Le
slogan parait beau, mais pour un bennabiste, il
révèle une absence flagrante de connaissance sérieuse. La solution, ce
n’est pas à l’islam de la fournir, c’est au musulman de la préconiser, de la
trouver par son effort, puis de l’appliquer. On voudrait nous faire croire que
les fuqahâ auraient gardé des siècles durant, sous le manche, la recette de la
civilisation, et qu’ils allaient la sortir miraculeusement de dessous leurs turbans
magiques.
Non, la solution
était de continuer à occuper la place Tahrîr, aux côtés des jeunes égyptiens,
plus conscients en l’occurrence, que tous les ulémas. Or les Frères ont craint
de souiller leur turban, et ont déserté le champ de bataille.
Nous aurions
aimé qu’il en fût autrement, mais la réalité est que le musulman cravaté et le
musulman enturbanné souffrent des mêmes insuffisances, des mêmes lacunes.
Il est plus
difficile pour un salafiste de penser à se réformer en se rendant efficace
socialement, que de penser à ‘’réformer’’ les autres. Il a le meilleur rôle
pour lui.
Doit-on
continuer à penser à relancer la civilisation, ou faut-il renoncer
définitivement ? Est-ce que nous avons testé toutes les formules ?
La question se
complique par le retard accumulé, par tout le temps passé à essayer ou faire
semblant d’essayer de remettre en marche la société civilisée. Car un facteur
de poids vient s’ajouter désormais à la problématique. C’est celui de la
mondialisation qui impose de nouvelles règles, de nouvelles contraintes. Non
seulement nous sommes incapables de relancer le moteur de la civilisation, mais
nous devons le faire dans un environnement qui n’est pas là pour nous faciliter
la chose ?
Or pas plus que
d’un régime politique dictatorial, le musulman n’a pas besoin d’un clergé qui
imposerait une interprétation officielle de l’islam.
Que voulons-nous
dire quand nous disons que nous sommes musulmans ? Est-ce que cela se
réfère à un passé dont nous avons hérité ? Comme les bouddhistes qui
sont bouddhistes depuis des millénaires et continuent de l’être, par habitude
ou par conviction.
Si le but est de
faire une civilisation, force est pour nous de constater que nous en sommes
incapables ? Quid de la religion ? Si nous sommes convaincus d’être
des musulmans, force pour nous est de constater que notre foi est inefficace,
nous ne sommes pas capables de nous nourrir, de nous défendre avec des armes
que nous aurions fabriquées nous-mêmes, etc.
Qu’est-ce qui ne
va pas alors ?
La sociologie
moderne connait des sociétés primitives qui servent de modèles, de patterns
d’organisation sociale. L’être humain est par nature un être qui organise sa
vie en groupe. Cette forme naturelle de vie existe partout, car elle est fondée
sur l’instinct, comme l’organisation de la vie chez les animaux.
Les arabes de la
jahiliya avaient eux aussi une organisation, un pouvoir fondé sur la puissance
respective des tribus participant à la confédération de Qoraych. Ce qui cimentait
leur unité c’était le panthéon des idoles, et aussi et surtout la langue
commune qui leur permettait de se reconnaitre en tant qu’Arabes.
C’est l’islam
qui a unifié ce magma de tribus qui vivaient en marge de l’histoire et leur a
donné une orientation et une tension indispensable pour entrer dans l’Histoire.
Après la chute
de la première civilisation musulmane,
les peuples arabes ou assimilés aux Arabes sont retournés à leur état social
d’avant l’islam, gardant la foi à l’état atomisé, sans sa puissance de cohésion.
Leur horizon de
vie ne dépasse pas désormais celui de la tribu, leur ambition politique aussi.
Ils se sont
repliés définitivement sur leurs frontières psychologiques d’avant l’islam, ils
sont devenus ombrageux, incapables de faire le saut audacieux de la foi de
leurs ancêtres.
Les pseudo-états
qui dirigent les arabes sont plus proches de la tribu que de l’état de Médine.
Devant cette
situation de décadence, qu’il a vécue à ses débuts, Ibn Taymiyya (ra), père de
la pensée salafiste, ne voulait pas ou ne pouvait pas voir que la société
musulmane était déjà affaiblie, qu’elle n’avait plus la force ni d’obéir ni de
désobéir. Il a été le premier à prêcher que le mal vient des autres, à rejeter
la responsabilité du mal sur les mongols. Il était trop tôt pour qu’on attende
de lui qu’il constate que la société musulmane était déjà devenue
‘’colonisable’’, que la faute était en elle, que le mongol ne faisait
qu’exploiter un état de fait. Sans le patient travail des soufis, les Mongols
seraient restés bouddhistes, et auraient poursuivi la construction de leurs
temples.
La société
musulmane était trop faible pour rassembler des énergies capables de relever le
défi mongol et… pour écouter Ibn Taymiyya[8],
même s’il avait eu raison. Elle était dans le même désarroi que ressent
aujourd’hui la société occidentale face aux exhortations de ses défenseurs devenus
minoritaires.
Là où Bennabi a noté
l’épuisement des énergies d’une société, la baisse de le tension nécessaire
pour garder son rythme et son rang après six siècles de domination de la scène (la
société postalmohadienne incapable de se reproduire), Ibn Taymiyya, pur produit
d’un fiqh anhistorique, incapable de réfléchir dans le temps, n’a entrevu comme
solution, que l’énoncé abstrait d’un devoir juridique, sans même évaluer la
capacité de mouvement encore disponible au sein de la société musulmane. Une
société incapable de se tenir debout, ne peut pas se plier à des lois, encore
moins les imposer aux autres. Les Occidentaux qui sont en train de traverser
une phase de décadence, feraient bien de méditer cette phase de l’histoire de
l’Islam. Ils sont en train de faire du colmatage, de changer des pièces de la
machine, et s’imaginent par ce moyen pouvoir se remettre en course. Ibn Taymiyya
s’est livré à un exercice de droit en situation abstraite, sans aucune prise
sur le réel social.
Résultat :
Ibn Taymiyya a publié une grande quantité de fatwas demeurées sans effet. Il
est passé à côté de la plaque sur tous les sujets, parce qu’au lieu de constater
que le corps malade avait surtout besoin d’un médecin, il lui a proposé ses
services de juriste en mal de pouvoir. Cela ne nous éclaire même pas sur sa
valeur personnelle. Mais on notera qu’il ne suffit pas d’être faqih pour
connaître des intérêts des musulmans.
La loi sociologique
de Dieu a eu le dessus sur le droit interprété par Ibn Taymiyya. Les sunan
Allah, les règles prescrites par Dieu concernant les peuples devaient aussi
s’appliquer de façon rigoureuse. Tilka ummatun qad khalat….
Par la suite,
les musulmans encore plus affaiblis tomberont sous le joug du colonialisme
occidental, mais seront désormais plus sceptiques à l’égard du droit comme
solution. Les promoteurs de la Nahdha à la fin du 19ème siècle,
avaient entrevu cela, comme on le déduit du verset qui servit de leitmotiv à
Jamal al-Dîn al-Afghâni : « Dieu ne change pas l’état d’un peuple,
tant qu’il ne se sera pas changé lui-même…». Sous ce rapport, Bennabi est
un héritier d’al-Afghânî.
Entretemps, la
société musulmane a rechuté avec le wahabbisme version encore plus sèche de l’enseignement
d’Ibn Taymiyya. Elle a renoué avec l’attitude qui fait retomber la responsabilité
sur l’autre, sur les ‘’ennemis’’.
Ce qui explique
le mal être de nos sociétés, c’est en réalité cette situation de provisoire qui
dure depuis 6 siècles. Cela concerne tous les musulmans, sans exception, toutes
sectes confondues. Cela fait 6 siècles que nous essayons et réessayons de nous
réveiller, parfois juste pour nous rendormir sur le côté gauche après avoir
dormi sur le droit.
Au cours du 20ème
siècle, nous avons assisté à tant de tentatives de ‘’renaissance’’. On a cru en
Jamal al-Dîn Afghani, en Ataturk, en Nasser, on a même suivi un temps Kaddafi,
puis Khomeyni, parce que nous étions persuadés
que la solution du problème dépendait des gouvernements, des leaders. Bennabi
fut le témoin des Ulémas algériens qui ont la grande excuse d’avoir travaillé
dans le milieu le plus hostile qui soit : celui du colonialisme français
foncièrement haineux de l’islam.
Or il est temps
de nous réveiller pour de vrai, de cesser d’incriminer les seuls ‘’dirigeants’’
(qui ne dirigent rien).
Pour Bennabi les
liens sociaux fondés sur des appartenances à des écoles de pensée (mazhab) ne
sont intéressants qu'en tant que source potentielle de asabiyya, ferment
porteur de la graine de civilisation, de la capacité de catalyse de la
civilisation. Il sait que la foi vraie est dans le cœur, pas dans ce qu’un
individu affiche par fierté ou par précaution. Bennabi a été un
''socialiste'' avec Boumediene, un wahhabi avec les Saoudiens, etc. A la fin de
sa vie, il a entretenu une relation avec le chiite libanais Musa Sadr. Ce
n'est certainement pas en quête de complément religieux, mais
uniquement, par que sa ghayra pour l'islam le poussait à faire feu de
tout bois. Il était à la recherche de l’homme de la situation. Ne pas critiquer
le socialisme, ne pas provoquer le pouvoir, mais essayer de lui ouvrir
les yeux progressivement. Comme envers un enfant difficile pouvant se montrer
très méchant (Moise et Aron face à Pharaon), Bennabi a été le contemporain de
gouvernants obtus, imbus de leur personnalité, etc. Mais il n’a jamais cédé au
mensonge, il n’a jamais servi le mal. Il voulait suivre le menteur jusqu’au
seuil de sa maison, juger du maçon au pied du mur. Si les Saoudiens avaient
créé un modèle crédible de l’islam, si Boumediene avait réussi son
‘’socialisme’’... Or le Saoudien rêve toujours de l’Amérique, et l’algérien
d’émigrer en France.
Car ce qui
importe, c’est de réussir à tourner l’attention du peuple musulman vers sa
société. Pour Bennabi, il était clair que la forme juridique (socialisme,
capitalisme, etc.) choisie par le système politique dirigeant peut être
dépassée. Ce qui importe le plus encore, c’est l’efficacité, parce que c’est
elle qui est susceptible de redonner espoir aux musulmans, de les faire sortir
de la morosité et du dégoût de soi dans lesquels ils vivent depuis 6 siècles.
L’efficacité
crée une situation nouvelle qui transforme les mentalités et les rend aptes à accepter
plus facilement certaines vérités et à rejeter énergiquement d’autres. Quand on
voyage en Occident, on cesse de penser qu’il n’est que le mal, ou du moins que
nous sommes le bien pur.
Tous les
algériens étaient ''socialistes'' par peur plus que par conviction. Ils l’expliquaient
de façon à lui trouver une justification morale, comme la nécessité de la
justice sociale[9],
pour ne pas trahir leur foi de musulmans. C’était cela la vie algérienne après
l'indépendance: comment continuer à être croyant en dépit de la folie des
hommes, de leur tyrannie. Comment admettre toutes les trahisons du pouvoir
personnel. Boumediene imposant son socialisme, c’est Ataturk imposant la
laïcité et les caractères latins. Le peuple n’a qu’à obéir.
Les musulmans,
les algériens y compris, ont instinctivement agi comme Bennabi. Nous avons
soutenu toute révolte musulmane de quelque mazhab que soit le peuple qui la
mène. Nous avons adhéré à la révolution iranienne au-delà du mazhab, comme le
peuple iranien avait soutenu le peuple algérien au-delà du sunnisme. Quand le
corps de l’islam s’enfièvre, tous les organes réagissent pour le renforcer.
Notre espérance de voir revenir la grandeur de l’islam, est telle que si un kharijite
parvenait enfin à nous sortir du trou, nous le suivrions. Nous sommes capables
d’identifier notre intérêt général, de nous comporter simplement en musulmans,
de dépasser nos œillères, de nous en débarrasser.
Après tout, nous
avons été fascinés par la pensée occidentale. Nous avons même été dans l’‘’option
irréversible’’ du socialisme. Nous avons appris à soutenir les ‘’justes
causes’’ des peuples, fussent-ils non musulmans.
Or si nous
avions eu le bon réflexe de soutenir ce qui est juste, nous avons été souvent
déçus par la suite en découvrant que Kaddafi n’avait fait que prendre la place
du roi, sans rien apporter de sérieux, que la pensée politique de Khomeyni
était d’un simplisme déroutant.
A propos de la
civilisation, une question se pose : quelle est la différence entre elle
et la religion, quel est le lien qui les relie ?
Techniquement,
la définition que donnent des auteurs musulmans (Bennabi, ou Ibn Khaldun) ou des
penseurs occidentaux (Spengler, ou Toynbee) peuvent se rapprocher. Une civilisation
est un état de la société constatable et mesurable historiquement, par la
grandeur, etc.
Or lorsqu’elle
aspire à retourner à la civilisation, une société voit floue. Une partie de ses
individus reste fasciné par le passé et pense à une image vraie ou fausse de
cette civilisation, à un modèle à imiter ou reproduire. D’autres individus
pensent seulement à recréer les conditions d’un nouveau départ de cette civilisation.
Bennabi fait partie de ceux-là, à mon avis.
Pouvoir et
savoir
Que nous
reste-t-il de l’islam ? Une querelle au sujet de l’islam.
Nous sommes
envahis par l’hypertrophie du discours ‘’politique’’ ; nous avons tendance
à rapporter tout le mal à ‘’nos’’ gouvernants, à la corruption de nos
dirigeants.
L’algérien aime
bien dire : si j’étais le chef, si j’étais le décideur. Il dit
rarement : si je devais servir, si je devais agir.
En réalité, les
dirigeant ne sont pas plus responsables que les ‘’ulémas’’ qui n’ont de savants
que le nom. Pour faire court, nous allons désigner par Rochd le président
algérien depuis l’indépendance, et par Abbas le ‘’âlim’’ algérien.
Que sait Abbas
de la religion ? Que sait Rochd de la politique ?
Abbas est aussi
responsable que Rochd. L’un souffre de l’infantilisme qui professe qu’il
suffira d’obliger les gens à faire la prière à la mosquée pour que tout rentre
dans l’ordre. Rochd confond la boulitique avec la politique. Pendant des
années de ‘’diplomatie’’, il n’a même pas pris le temps de méditer sur la raison pour laquelle la parole de l’Algérie
ou des pays arabes ne vaut toujours rien, alors que celle des autres pays est
entendue et respectée. Il n’a rien compris à l’essence de la politique. Son
infantilisme à lui consiste à croire que la diplomatie consiste à voyager, à
beaucoup voyager, à seulement voyager en oubliant la raison et le but du
voyage.
Abbas et Rochd
sont d’accord sur un point : c’est qu’il faut réprimer. L’un pratique le
terrorisme de l’esprit, l’autre possède en outre des armes. L’un veut imposer
sa conception de la religion, l’autre sa conception de la politique. Abbas convoite
la place de Rochd, mais Rochd croit légitime de la lui refuser. Et il en a les
moyens.
Ils sont en
conflit forcément : parce que quand deux bêtises s’affrontent, il va de
soi que c’est celle qui est plus armée qui triomphe. Mais c’est la bêtise de ‘Abbas
qui a poussé les millions de militants ‘’islamistes’’ à tomber dans le piège de
la bêtise de Rochd.
Les deux
ignorances sont responsables à part égale. Rochd n’a pas moins droit au titre
de ‘‘musulman’’ que ‘Abbas. Les deux hommes font de la bougeotte, l’un dans sa
tête, l’autre sur son siège de ‘’président’’. Les deux sont bel et bien des
hommes post-almohadiens.
Nous avons
longtemps contemplé le modèle occidental qui a imposé ses valeurs. Bien que
convaincus de la supériorité de notre religion, nous demeurions fascinés par la
vie occidentale. Nous n’avons jamais pu clarifier la situation dans notre
esprit, malgré les analyses de Bennabi. Nous convoitons une réalité qui
s’appelle la civilisation, qui offre ‘’toutes les conditions nécessaires au
développement’’, nous rêvons d’aller nous installer dans ces pays, fuir notre
misère, et de l’autre côté, il nous est difficile de nous séparer de notre
religion. Pris dans ce dilemme, nous n’avons jamais su voir où réside le
problème, comprendre une bonne fois pour toutes, que la civilisation est un
état susceptible de se produire indépendamment de la qualité de la ‘’religion’’
qui préside à sa naissance.
Nous avons pensé
alors que c’est parce que nous ne sommes pas suffisamment musulmans que nous
sommes arriérés. Cela fait le pain béni de certains enturbannés qui ne
demandent qu’à nous importuner avec leurs leçons de morale, et qui ne
comprennent pas que là n’est pas le propos…
Aujourd’hui
l’Occident a cessé de nous subjuguer. Mais nous sommes toujours incapables
d’ouvrir les yeux sur une autre perspective. Nous sommes comme un enfant qui a
perdu son jouet et qui ne sait par quoi le remplacer.
Ce sont les
millions de manifestants musulmans iraniens qui ont porté Khomeiny au pouvoir,
mais lorsque celui-ci s’est installé comme chef suprême, il n’a pensé qu’à une
chose : ‘’islamiser’’ la société iranienne, comme s’il n’avait rien compris
de la puissante demande de son peuple : un désir de changement de vie, une
aspiration à la liberté, à la joie de la foi vécue…
Pour Khomeiny,
la solution consiste dans ce que la réalité du pouvoir soit confiée aux
fuqaha ! C’est cela le résumé de la wilâyat al-faqîh. Il est vrai
qu’en Iran les fuqahâ ont quand même une formation bien plus solide que les
blancs-becs qui ont tenté de nous diriger… droit dans le mur.
Cela est la
définition même du salafisme : Rêver d’un retour à un passé illusoire.
Dans les pays où
la politique est confiée aux hommes qu’il faut, les gens parlent d’autre chose
que de politique. Ils sont occupés à produire les objets de la
civilisation : industrie, agriculture, travaux de génie, arts, etc.
Ils ressentent
les effets de la politique, au sens noble, dans leur vie quotidienne. Ils
vivent dans la civilisation. Le temps que nous mettons à parler boulitique,
ils le consacrent à la culture, à l’apprentissage ou à leur famille.
On a dit idhâ
fasada al-‘âlimu fasada al-âlamu, quand les ulémas sont corrompus, le monde
entier est corrompu.
L’islam et la
haine de l’autre
Nous n’avons
nullement besoin de désigner à la vindicte les ‘’ennemis’’ de l’islam, ni de
les injurier. La religion du Prophète (S) ne cesse de progresser en dépit de
nous. Nous n’avons même pas besoin de menacer, d’autant plus que militairement,
nous savons que nous sommes en situation d’infériorité depuis 4 siècles au
moins. Certes, Bennabi accorde une large place à la lutte idéologique, mais
celle-ci demeure un facteur aggravant, mais jamais la cause principale. Il nous
suffit de travailler sérieusement avec discipline pour inspirer le respect et
la crainte, au besoin.
Surtout, nous
ferions bien de ne pas adjoindre le qualificatif d’islamique à notre
‘’république’’. Déjà que nous ne sommes pas capables de nous débarrasser de
‘’démocratique et populaire’’ !
Depuis la prise
de Bagdad, en 1258, par les troupes Mongoles conduites par Hulagu, l’islam a
tourné définitivement une page. Il lui reste à écrire une autre.
En attendant le
Mahdi…
Abû al-Atâhiya
[1] Les leaders nationalistes n’échappaient pas à cette confusion. Prétendant
s’en tenir à un discours purement technique, ils se croyaient obligés de
blasphémer, comme Boumediène ou Bourguiba qui n’ont pas hésité à s’en prendre à
l’islam, le tenant pour responsable de notre état d’arriération.
[2] Rappelons qu’aux premières années de l’occupation coloniale, certains chefs
religieux algériens avaient prononcé des fatwas en vertu desquelles les
algériens étaient tenus de s’expatrier, d’aller s’établir ailleurs parce que le
musulman ne devrait pas vivre sous l’autorité des infidèles. C’était une fatwa
qui reprenait celle qu’avaient proclamée en d’autres temps, les ulémas andalous
après la perte de Grenade.
[3] Voir à ce sujet l’étude de Malek Bennabi intitulée Islam et démocratie.
[4] Il s’agit d’exemple donné aux fins de nous faire comprendre. L’auteur est
musulman et accomplit sa prière derrière tout imam de toute mosquée,
conformément à la Loi.
[5] Voir le livre ‘’Un musulman nommé Jésus’’ de Tarif Khalidi, publié
chez Albin Michel, 2003, page 138. (traduit de l’anglais).
[6] Mentionné page 141, dans l’ouvrage de Tarif Khalidi cité précédemment.
[7] Selon les critères de notre exposé, Khomeyni, par exemple, est à classer
comme un salafi au sens général, parce que son programme est ‘’d’appliquer
l’islam’’, pas de développer la société musulmane. Il met plus l’accent sur la
doctrine juridique que sur le changement social. Il part du principe que les
Iraniens ne sont pas suffisamment musulmans, exactement comme les salafis de la
constellation sunnite. L’Iran bénéficie cependant du travail d’une élite
nationaliste qui collabore avec les religieux par amour pour leur pays, avec
les résultats que l’on sait. Et son clergé est de formation plus qualifiée.
[8] Dans sa Rihla, (Voyages), le célèbre maghrébin Ibn Battûta,
relatant son séjour à Damas a noté qu’un ‘’homme nommé Ibn Taymiyya y habitait
et qu’il souffrait d’un déséquilibre mental’’.
[9] Je me rappelle que certains voulaient fonder le socialisme algérien en
l’inspirant des paroles du Compagnon, abû Dharr al-Ghifârî (ra).